Au fil des désastres, comment le Japon réinvente la morphologie du « logement public post-catastrophe » [災害公営住宅/saigai kōei jūtaku]

Les logements publics post-catastrophe (災害公営住宅/saigai kōei jūtaku) sont des logements à loyer modéré fournis par les gouvernements locaux. Ils sont financés par le gouvernement national afin d’assurer une vie stable à ceux qui ont perdu leur maison à cause d’une catastrophe.

Le constat du relogement inadéquat des victimes du séisme de 1995 a pointé du doigt le danger de l’isolement des sinistrés. Dans quelles mesures ces nouvelles considérations ont-elles influencées les logements construits après les catastrophes de 2011 au Tōhoku et de 2016 à Kumamoto ?

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Logement post-catastrophe à Hibikigahara, Kumamoto © Camille Cosson

Les stratégies de reconstruction instaurées après les catastrophes de 2011 et 2016 et leurs applications locales

En décembre 2011, le gouvernement central promulgue une première Loi sur le développement de zones résistantes aux catastrophes dues aux tsunamis, afin d’établir de nouveaux standards de protection. Cette loi classifie les tsunamis selon deux types : le tsunami de niveau 1, causé par un tremblement de terre de magnitude huit, avec une occurrence centennale ; le tsunami de niveau 2, causé par un tremblement de terre de magnitude neuf ou supérieure et son occurrence est millénale. Toute zone vulnérable à une inondation de plus de 2 mètres de profondeur lors d’un tsunami de niveau 2 est alors considérée comme une zone à haut risque, limitant le type de construction autorisé (appelé « Two-Two Rule »).

Une fois les grandes lignes décidées par le gouvernement central à Tokyo, la responsabilité de mettre en place ces standards revient aux préfectures et municipalités. Pour développer son plan de reconstruction, chaque municipalité doit dans un premier temps délimiter sa carte des risques, afin de déterminer une stratégie de protection contre les tsunamis. Pour ce faire, elle utilise un programme de simulation informatique développé par le ministère du Territoire, des Infrastructures et des Transports (MLIT) et mis en œuvre dans les préfectures.

Rassembler des villages de pêcheurs à Iwanuma (Miyagi)

Iwanuma (岩沼市) est une ville moyenne de la préfecture de Miyagi située au sud de l’aéroport de Sendai, avec une population avoisinant les 40 000 habitants. Lors de la catastrophe de 2011, le tsunami s’est propagé dans les plaines, inondant près de la moitié de la superficie de la ville. La municipalité souffre de nombreux dégâts matériels et humains.

On dénombre près de 180 victimes, et plus de 4 200 maisons endommagées par les eaux. Les villages de pêcheurs qui se situaient en bord de mer ont été complètement ravagés. Cependant, les nouvelles politiques de résilience des territoires que nous avons introduites précédemment interdisent la construction dans ces zones considérées comme trop dangereuses. Il est urgent de trouver une solution pour relocaliser les habitants de ces communautés.

Parmi les stratégies proposées par le gouvernement central, la ville de Iwanuma propose aux six villages concernés (Ainokama/相野釜, Fujisome/藤曽根, Ninokura/二野倉, Hasegama/長谷釜, Kabasaki/蒲崎 et Shinhama/新浜) d’opter pour une relocalisation collective. Dans ce plan de reconstruction, les personnes touchées se déplacent collectivement d’une zone à risque vers un nouveau site résidentiel en lieu sûr.

Reloger les personnes âgées en favorisant les échanges entre voisins à Uto (Kumamoto)

Située au sud de la ville de Kumamoto (熊本市), la petite commune de Uto (宇土市) a subi de lourds dommages matériels et humains lors des deux secousses qui ont touché la région en avril 2016. Près de 1 800 bâtiments sont répertoriés comme complètement ou en grande partie détruits, et si l’on ajoute ceux partiellement endommagés, le chiffre s’élève alors à près de 7 000 édifices, comprenant des bâtiments publics, commerces, entreprises et habitations.

Le projet de logements publics post-catastrophe de Sakaime (宇土市営境目団地災害公営住宅/Utoshiei Sakaime danchi saigai kōei jūtaku) est le premier mené par la préfecture à travers le programme intitulé Kumamoto Artpolis Project. Le terrain sur lequel vient s’implanter le projet est au centre d’un quartier résidentiel, composé en partie de maisons individuelles et de barres de logements publics.

Afin de revaloriser l’esprit du quartier et de resserrer les liens, les architectes proposent que la « Maison pour tous » associée au projet soit placée à une position stratégique afin d’encourager les habitants du quartier à profiter de ce lieu communautaire.

Proposer des maisons semi-détachées pour les agriculteurs à Uki (Kumamoto)

Voisine de Uto, la ville d’Uki (宇城市) regroupe une population avoisinant les 60 000 habitants. Lors du séisme de 2016, les dégâts ont été lourds dans le secteur résidentiel, avec 8 597 maisons sinistrées28. D’après les chiffres fournis par la préfecture de Kumamoto en août 2019, Uki se situerait en troisième position des villes nécessitant le plus de logements publics, avec 181 unités, derrière Mashiki (671) et Kumamoto (326). La ville doit rapidement mettre en place des politiques pour aider les sinistrés à réparer les dégâts quand cela est possible, ou, le cas échéant, leur proposer des solutions de relogement.

Les agriculteurs étant nombreux dans la commune, Kazumi Kudo et Hiroshi Horiba, les architectes en charge du projet, proposent d’y construire des maisons semi-détachées bénéficiant d’une parcelle de jardin privatif.

De nouvelles morphologies pour mieux « vivre ensemble »

Une grande difficulté à laquelle les architectes sont confrontés lors de la conception de ces projets spécifiques de « logements publics post-catastrophe » est la question de la communauté.

Différentes études menées après 1995 ont mis en lumière les failles du système de relocalisation dans les grands ensembles. Suite à ces découvertes, certains architectes et urbanistes tels que Suzuki, Takahashi ou Onoda, ont insisté sur l’importance de créer des lieux de rencontres pour favoriser les échanges entre les résidents.

Éviter l’isolement social des sinistrés devient dès lors une priorité dans ces quartiers qui offrent systématiquement des espaces de rassemblement, parcs, « espaces de réunion » (集会所/shūkaisho) ou « maisons pour tous » (みんなの家/minna no ie). La mise en place de morphologies privilégiant les espaces orientés au sud, le living access, ou encore des espaces de connexion comme l’alcôve tsunagari correspondent aux différentes propositions des architectes en réponse à cette problématique.

Lire l’analyse détaillé de ces projets de logements post-catastrophe dans l’article disponible en ligne sur le site des Cahiers de la Recherche Architecturale Urbaine et Paysagère.