Les territoires réhabilités du Tōhoku face aux enjeux de la reconstruction : entre politique publique et application locale, quelle place pour la résilience ?

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Le Japon est depuis longtemps sensible aux aléas naturels. Situé sur la ceinture de feu du Pacifique[1], le pays est fréquemment secoué par des séismes de plus ou moins grande importance : « L’archipel japonais est confronté aux soubresauts de la nature » (Pelletier, 2012). Ses habitants n’ont eu d’autre choix que de s’habituer aux tremblements de terre, tsunamis et typhons qui, au fil de l’histoire, ont causé de nombreuses victimes et de multiple dégâts, entrainant des modifications et des améliorations dans la prévention et la gestion des risques.

Pourtant, le caractère inédit de la “triple” catastrophe de mars 2011 a ébranlé la confiance de la société japonaise, en mettant en lumière des failles dans sa préparation face au désastre (Schweisguth, 2011).

Le 11 mars 2011 à 14h46, un tremblement de terre secoue l’archipel nippon, d’une magnitude sans précèdent de 9 sur l’échelle de Richter, ce “Grand Séisme de l’Est du Japon” (Higashi Nihon daishinsai 東日本大震災) est ressenti à travers tout le pays. Quelques minutes plus tard (allant de quinze minutes jusqu’à plus d’une heure en fonction des endroits), un raz-de-marée s’abat sur la côte du Tōhoku, au nord-est de l’île de Honshū. La vague ravage tout sur son passage, inondant près de 500 kilomètres carrés, et endommage dans son sillage la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Une série d’explosions conduit à la fonte des cœurs de trois des six réacteurs de la centrale, libérant une grande quantité de matières radioactives dans l’air et dans la mer. Bien que 80 % des nucléides soient partis dans l’Océan Pacifique, les 20 % restants sur le sol japonais sont problématiques, notamment le radiocésium (134Cs et 137Cs) qui pose des risque sanitaires graves pour la population locale (Evrard and al., 2015).

Le bilan de la catastrophe est lourd : 19 729 victimes, 2 559 disparus et 6 333 personnes blessées. Environ 120 000 bâtiments ont été complètement détruits et 283 000 ont subi de grave dommages, causant l’évacuation de près de 470 000 personnes[2]. Les évènements de mars 2011 sont marquants pour la société japonaise, comme pour les architectes et urbanistes, nombreux à se questionner sur les actions à mener suite à ce désastre (Igarashi et Yamazaki, 2014). Pour certain d’entre eux, l’avenir des villes ne serait sans doute plus à chercher dans les grands travaux d’aménagement en prévision des Jeux Olympiques, mais plutôt dans la reconstruction du Tōhoku. En effet, les territoires annihilés par la vague et l’accident nucléaire de 2011 sont perçus par certains comme une chance de repenser la ville à partir de zéro, en prenant en compte les enjeux actuels de “résilience urbaine”.

Dans cet article, nous nous pencherons sur la reconstruction des villes côtières du Tōhoku, qui ont été les plus largement sinistrées par le tsunami de 2011. Quelles sont les difficultés rencontrées par ces localités dans leur poursuite de réalisation de la “ville résiliente” ? Nous interrogerons les politiques générales pensées pour favoriser la résilience des territoires, et confronterons la théorie à l’application locale. Dans un premier temps, nous tâcherons d’éclairer le concept de résilience du point de vue académique et institutionnel. Nous confronterons dans une deuxième partie les lignes directrices recommandées par l’Organisation des Nations Unies pour “reconstruire en mieux” (Build Back Better) avec les politiques proposées par le gouvernement japonais au lendemain du désastre. Enfin, la troisième partie discutera des ambiguïtés du terme japonais fukkō 復興 (“reconstruction”) ainsi que de ses similitudes avec celui de « résilience ». 


1 – LA RÉSILIENCE, UN CONCEPT UNIVERSEL ?

La résilience est un concept complexe à définir. Depuis les années 1970, de nombreuses interprétations ont été proposées dans différents domaines de recherche et la plupart des universitaires s’accordent aujourd’hui à dire que la multitude d’acceptions et d’applications a rendu le terme si vague qu’il a perdu son sens. Afin de mieux comprendre les enjeux de ce terme, nous reviendrons cependant sur son apparition et ses différentes acceptions académiques, avant de nous concentrer sur la signification que lui ont donné les grandes institutions internationales.

1.1- L’apparition du concept de résilience

Le mot “résilience” vient du latin resilire, qui signifie “rebondir”. En physique, la résilience est utilisée pour décrire la capacité d’un matériau à résister aux chocs pour revenir à un état initial. Dans son article “Resilience and Stability of Ecological systems” (1973), Crawford Stanley Holling, professeur de sciences écologiques, s’éloigne pour la première fois de la “résilience technique” pour explorer le thème en l’appliquant au domaine de l’écologie.

Selon lui, il existe deux types de résilience : la “résilience technique” (Engineering resilience) et la “résilience écologique” (Ecological resilience). Il définit la “résilience technique” comme la « capacité d’un système à revenir à un état d’équilibre après une perturbation temporaire » (Holling, 1973). De son côté, la résilience écologique désignerait « l’ampleur des perturbations qui peuvent être absorbées avant que le système ne modifie sa structure » (Holling, 1996). À la même époque, Emmy Werner et Ruth Smith introduisent l’usage de la résilience en psychologie après une étude menée à Hawaï sur des enfants à risque psychopathologique (Werner and Smith, 1979).

En France, à la fin des années 1990, le terme est popularisé en psychanalyse par Boris Cyrulnik à partir des travaux de John Bowlby. Il est alors utilisé comme synonyme de résistance au stress face à des situations traumatisantes. Les sciences humaines et sociales (en se fondant notamment sur les recherches de Crawford Stanley Holling) considèrent un système (économique, humain, écologique) comme résilient lorsqu’il a la capacité d’adaptation nécessaire pour résister aux dangers qui le menacent. Au début du XXIe siècle, la résilience a également été employée par le secteur des affaires pour décrire l’aptitude à réinventer rapidement des modèles et des stratégies commerciales en fonction de l’évolution des circonstances (Beth, 2019).

Au Japon, le mot “résilience” est parfois traduit par kaifukuryoku回復力 (“capacité de rétablissement”), mais c’est le terme anglicisé de rejiriensuレジリエンス (“resiliency”) qui s’est le plus largement répandu ces dernières années.

La suite est à lire dans le Vol 23 numéro 2 de la revue Géographie Économie et Société.


[1] La ceinture de feu du Pacifique est une zone sismique très active. Elle fait partie des trois zones où se trouvent le plus de volcans sur la planète avec plus de 450 volcans en activité.

[2]  Selon le dernier bilan de l’Agence de Reconstruction :  https://www.reconstruction.go.jp/english/topics/GEJE/index.html